La nuit était tombée depuis bien longtemps sur Mémoria, apportant avec elle un calme religieux, quasi mélancolique, propre à l’île oubliée.
Allongé torse nu sur son lit de camp, Lance fixait la toile de sa tente de ses yeux bleus de glace. Nulle émotion ne se lisait sur son visage marqué et sa respiration s’élevait en harmonie avec les battements de son cœur.
De là où il se trouvait, le Dragon pouvait entendre l’océan. Ce même océan où il s’était baigné un peu plus tôt avec Caliaween. Cet océan tranquille qui avait vu renaître la perspective d’une rédemption jusqu’alors inatteignable.
En fermant les yeux, Lance revit distinctement le visage pâle de Caliaween et le sourire empli de douceur qu’elle lui avait adressé alors qu’elle serrait ses mains puissantes entre les siennes, si fines et fragiles en comparaison.
“J’ai promis, avait-elle dit. J’ai promis à Valkyon de veiller sur toi, de t’épauler et d’être à tes côtés en dépit de tes erreurs. Il croyait en toi tout comme je crois en toi, indéfectiblement. Tu es un homme bon, Lance. Tu iras loin sur le chemin de la lumière."
Un sourire triste se dessina sur les lèvres du Dragon alors que résonnait en lui ces douces paroles. Il ne s’était rendu compte que trop tard de l’immensité de sa folie, aveuglé qu’il était par une rage vaine et un désir de vengeance destructrice. Valkyon avait essayé de le raisonner, pourtant. Toujours. Il n’avait jamais cessé, même lorsque Lance l’avait violemment rejeté. Or malgré ses crimes, malgré la vie qu’il lui avait prise, son frère continuait de l’aimer. Et cet amour transcendait même la mort.
Lance pouvait le sentir en lui, autour de lui. Valkyon n’était plus, mais Caliaween demeurait, belle comme le jour et berçant dans son cœur le serment qu’elle lui avait fait. En dépit de sa douleur et du deuil qui subsistait toujours dans ses jolis yeux verts, la jeune femme lui avait tendu la main comme son frère l’avait fait avant elle. Cette fois-ci, le Dragon ne l’avait pas refusée.
De sous les paupières mi-closes de l’Obsidien coulèrent des larmes. Elles dévalèrent ses pommettes jusqu’à ses joues recouvertes d’une barbe rugueuse.
La confiance que lui vouait Caliaween était si douce et réconfortante qu’elle en était presque douloureuse. Lui qui, chaque jour, s’enlisait un peu plus dans sa haine et son dégoût de lui-même, il ne s’estimait plus digne du respect ou de la bonté de qui que ce soit. Lance n’était revenu dans la Garde d’Eel que pour expier ses pêchés et pleurer la perte d’un frère qu’il n’avait jamais mérité. Le mépris que lui témoignaient les gardiens et les habitants de la cité était légitime. Un juste retour des choses, bien trop faible cependant comparé à ce qu’il méritait réellement.
S’il n’avait pas craint de rendre vains la mort de Valkyon et le sacrifice de Caliaween, Lance se serait ôté la vie. Eldarya ne méritait pas qu’il la souille davantage de sa présence.
Et pourtant, pourtant...une lueur d’espoir, d’abord tenue, avait illuminé son être comme jamais auparavant. Ce soir-là sur Mémoria, l’océan avait dissout ses angoisses et sa peine l’espace d’un instant, lui murmurant à l’oreille qu’il n’était pas encore trop tard. Ce soir-là, Caliaween s’était tournée vers lui sans gêne et sans méfiance, son corps nu à peine dissimulé par les vagues et l’obscurité. L’Amour et le Pardon s’étaient présentés à lui sans artifices sous les traits d’une Elfe d’une pureté sans pareille. Les mots échangés avaient guéri le cœur du Dragon, le débarrassant de son carcan de pierre et de glace.
La culpabilité habiterait toujours son âme. C’était ainsi, rien n’y changerait. Mais Lance apprendrait à vivre avec, à la transformer en énergie positive au service du bien. Caliaween serait à ses côtés pour l’y aider. De ses caresses, elle reconstruirait son être brisé et lisserait les fissures de son cœur encore fragile.
La rédemption...Lance aurait encore du chemin à faire avant de l’atteindre. Mais ses rêves n’étaient pas aussi vides que le paraissait sa conscience. Caliaween lui avait permis d’espérer. Il ne la décevrait pas et jamais plus il ne trahirait Valkyon.
Alors que le sommeil le gagnait, Lance vit s’estomper derrière ses paupières, comme emporté par un vent invisible, les derniers vestiges de la silhouette sombre et tourmentée d’Ashkore.
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