Elle ne comprenait pas la signification de ce qu’elle voyait. Ou plutôt, elle craignait de comprendre, au contraire. Bien que son visage ne trahissait aucune émotion, Shaerazade n’en demeurait pas moins interdite par ce qui se présentait à elle.
Sous le Cerisier Centenaire avait été dressé une petite table chargée de quelques mets. Rien de fastueux ou de coquet, juste cette table sur laquelle une bougie se consumait, à peine troublée par une douce brise nocturne annonçant le début du printemps. Cela pouvait ne rien dire mais pourtant, la symbolique de la mise en scène ne permettait aucun doute.
Troublée, Shaerazade se tourna vers Valkyon qui, à ses côtés, l’observait en silence. La Titanide possédait, certes, un sang-froid remarquable, mais sa nature ne pouvait l’empêcher de masquer totalement ses émotions. Ce fut donc un regard chargé d’incompréhension, d’angoisse et d’espoir qu’elle posa sur son chef de Garde, quémandant des explications.
« Pardonne-moi de te surprendre ainsi. Je reconnais t’avoir menti en prétendant vouloir m’entraîner avec toi, commença Valkyon avec douceur. »
Un mélange de colère et de déception pinça le cœur de la fière Obsidienne, vexée d’avoir ainsi été trompée. Cependant, la suite des événements souffla bien vite sa rancœur.
« Pour ma défense, j’étais bien déterminé à t’avouer ce qui me pesait sur le cœur depuis maintenant plusieurs mois. Depuis quelque temps, il me devenait de plus en plus difficile de te cacher mes sentiments. »
C’était bien vrai. Shaerazade avait bien noté les signes, les regards et les sourires que lui lançait Valkyon dès qu’ils se retrouvaient ensemble. Lorsqu’elle entrait dans une pièce où se trouvait l’Obsidien, son visage s’illuminait d’un coup, lui qui était d’un naturel plutôt austère. De son côté, la grande rousse ne pouvait nier que Valkyon éveillait en elle un sentiment des plus doux qu’il fut. Malgré la force de son caractère et la froide apparence qu’elle renvoyait, l’attention que lui portait l’Obsidien la touchait jusqu’à parfois l’exalter. Cependant, elle s’était toujours refusée à céder aux murmures de son cœur, craignant à la fois de se méprendre sur les sentiments de son capitaine et sa nature de Titanide qui risquait de compliquer les choses.
Ces derniers temps, sa raison avait eu le dessus sur ses émotions et Shaerazade s’en était félicitée malgré le regret qui la traversait régulièrement lorsqu’elle pensait à Valkyon autrement qu’en tant que supérieur.
Or ce soir, ce soir…le coup qui était porté à sa raison risquait bien de lui être fatal.
« Tu as toujours été un atout non négligeable pour la Garde d’Eel. Pour ma Garde. Je t’ai toujours appréciée pour ton courage, tes valeurs et ton talent. Cependant, mes sentiments à ton égard ont évolué et il m’a fallu du temps pour m’en rendre compte. Je ne te vois plus que comme une simple collègue ou une compagne de mission. A mes yeux, tu es devenue bien plus que cela. Tu es cette incroyable guerrière qui n’hésite jamais à porter secours à tes camarades et à faire triompher la justice. Tu es cette femme au grand cœur qui veille toujours au bien-être des autres sans jamais laisser soupçonner quoique ce soit. Tu es une lumière, une flamme splendide qui illumine et réchauffe le cœur de chacun et plus particulièrement le mien. Tu es belle, Shaera, si belle et somptueuse que chaque regard que tu poses sur moi est comme une bénédiction. Je ne suis pas certain d’être digne de toi mais je ferai tout pour te mériter, si toutefois mes sentiments s’avèrent réciproques. »
Face au silence de la Titanide, l’expression de Valkyon s’assombrit.
« Si ce n’est pas le cas, je ne te ferai plus l’affront de te les renouveler. Ils perdureront encore un certain temps, à moins qu’ils ne demeurent éternels, mais je ne t’importunerai pas et tu pourras toujours compter sur moi comme ami loyal et dévoué. »
Shaerazade demeura coite tout simplement parce qu’elle était incapable de répondre quoique ce fut. Si elle avait espéré un jour recevoir une telle déclaration, à aucun moment elle ne s’était attendue à ce que cela se concrétise, doux fantasme de son cœur lorsqu’il se laissait aller à l’émoi. Était-ce encore un songe d’ailleurs ? Un nouveau rêve au goût si riche qu’il en paraissait vrai? Non, pas cette fois. Valkyon était bel et bien devant elle et il venait réellement de prononcer ces mots magiques qui faisaient chavirer son cœur si fort que la rousse crut un instant qu’elle allait se noyer.
Et parce qu’à cet instant, aucun mot ne lui sembla assez juste et fort pour exprimer sa gratitude et la puissance de cet amour qu’elle savait désormais partagé, Shaerazade se contenta de lui prendre la main et de la serrer fort dans les siennes.
Elle ferma les yeux et prit une inspiration tremblante. Lorsqu’elle les rouvrit, son regard était sûr, ses yeux verts étincelants comme l’émeraude la plus pure. Happé, Valkyon lui rendit son étreinte comme pour retenir sa lumière et la faire sienne.
« Je t’aime aussi. »
La simplicité de sa déclaration comparée à celle de Valkyon la déstabilisa quelque peu. Les mots se bousculaient dans sa tête, mais c’était ceux-là qui avaient jailli de sa bouche. Shaerazade ne put retenir un petit rire gêné.
« Je ferai en sorte de te le prouver chaque jour. Et si cela ne suffit pas, aie au moins la certitude d’être chéri plus que le plus précieux des joyaux. »
Le capitaine de l’Obsidienne n’était pas un homme qui souriait aisément. Le sourire qui fleurit sur ses lèvres à cet instant fut pour la Titanide la plus belle des offrandes qu’elle se promit de mériter à chaque instant.
Leurs doigts se lièrent et ne se séparèrent plus. Avec douceur, Valkyon guida Shaerazade vers le Cerisier Centenaire, seul témoin ce soir-là de la force de leur amour. Et comme pour leur rendre hommage, sur une haute branche tendue vers le ciel, un petit bourgeon étendit ses pétales rosés pour révéler aux astres sa radieuse beauté.
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